L’Abbé Charles Nicolas
L’abbé Charles Nicolas fut le dernier curé à habiter le presbytère de Monthoiron. C’était un personnage étonnant. Très apprécié de ses fidèles, il était aussi, à ses heures, rebouteux. En 1907, il n’hésite pas à se présenter à des élections. Si vous avez de bons yeux, vous pourrez lire l’affiche collée à côté du pilier gauche de cette maison :
- 28 juillet 1907
- Élection au Conseil d’arrondissement
- Canton de Vouneuil sur Vienne
- Candidat : Abbé Charles Nicolas
Par la suite, les curés seront des « desservants », comme l’abbé Longer, curé d’Availles, qui signe cet article après le décès de l’abbé.
M. l’abbé Charles Nicolas curé de Monthoiron
L’un des derniers numéros de la « Semaine Religieuse » du diocèse annonçait la mort d’un prêtre modeste et simple, dont la vie, semblable à celle de ses confrères, mérite un peu plus que le vague résumé des postes occupés, parce qu’il s’agit d’un vétéran du sacerdoce.
Le pasteur que vient de perdre la paroisse de Monthoiron était connu sous le nom « du bon vieux curé de Monthoiron » ; et sur les lèvres des paroissiens ce n’était pas une parole vide de sens, on sentait qu’ils y mettaient tout leur coeur.
L’abbé Ch. Nicolas avait 36 ans lorsqu’il fut appelé à diriger cette paroisse. Il arriva avec l’ardeur d’un apôtre, prêt à dépenser son dévouement au service des âmes. Son premier soin fut de restaurer l’intérieur de son église, bijou du XIIe siècle, de l’enjoliver de ses travaux personnels qui, au jour de ses funérailles, semblaient parler de lui et pour lui.
Certes, ce n’était pas un de ces hommes qui enlèvent de haute main la sympathie et qui provoquent l’enthousiasme; une certaine raideur de maintien, une voix faible plutôt que douce, une apparence de fierté dans la physionomie et dans le geste, jetaient quelque froid tout d’abord, mais ses riches qualités d’âme et sa bonté naturelle arrivaient vite à prendre le dessus.
Pendant son vicariat à Coussay, il inspira la vocation du P. Moreau qui fut en l’Oubangui un précieux auxiliaire de Mgr Augouard : « Maman je veux être comme M. l’abbé, dit-il un jour, en voyant passer le jeune vicaire, M. l’abbé Nicolas. » Cette parole lui fut communiquée séance tenante et fut accueillie avec joie. Cultiver cette plante de six ans et la dresser à son futur apostolat fut un rêve délicieux pour le maître, qui ne cessa, jusqu’à la fin, d’entourer son glorieux élève des attentions les plus charitables et les plus délicates. Il recueillit dans son presbytère de Monthoiron la mère du jeune missionnaire, la soi-gna dans sa vieillesse avec une tendresse filiale et la fit reposer à côté de sa mère dans le cimetière de la paroisse.
Pendant la guerre, il voulut lui aussi faire quelque chose pour son pays. Il servit à sa façon. L’instituteur – tombé depuis au champ d’honneur – partit dès les premiers jours de la mobilisation ; les enfants étaient abandonnés à eux-mêmes ; l’abbé Nicolas eut l’idée de les recevoir dans son presbytère et leur fit la classe. Plus tard, lorsqu’un hôpital fut installé dans le château de Monthoiron, comme il était heureux de venir voir « ses soldats » et de faire auprès d’eux ses heures de garde !
En 1921, sentant ses forces l’abandonner, il était décidé à prendre un repos bien mérité. Monseigneur devant passer à Vouneuil, à l’occasion de la Confirmation, il devait lui exposer ses raisons. Monseigneur vint, complimenta notre cher confrère pour sa bonne mine et le bon vieux curé n’eut pas le cou-rage de demander sa mise à la retraite.
A partir de ce moment, il devint de plus en plus faible et la mort de M. Treuille, survenue en février, lui porta un dernier coup ; il es-saya encore de continuer son ministère, mais ne pouvant plus y suffire, il quittait il y a six semaines sa chère paroisse, et combien à regret !
Il rédigea une dernière fois son « Bulletin paroissial » et dit à ses chers paroissiens :
« Mes chers Amis »
« Vous savez déjà que depuis plus d’un an votre curé songeait à vous quitter. Il m’en coûte de vous tenir ce langage, cependant il faut en arriver là. En effet, mes chers amis, après bientôt 40 ans de ministère au milieu de vous, bien que vous l’ayez rendu, ce ministère doux et consolant, évitant autant que possible ce qu’il y avait de trop pénible, vous ne pouviez m’empêcher de subir les ravages de l’âge, c’est la part que Dieu réserve à chacun de nous. Votre curé, sentant ses forces l’abandonner, a prié Mgr l’Evêque d’accepter sa démission tel un père de famille, au soir de sa journée laisse à des mains plus fortes la faux qu’il ne peut plus tenir.
Mon désir serait de vous visiter tous, avant de vous quitter ou plutôt, non, je ne vous quitte pas, c’est un congé de repos, en attendant que le Divin Maître de la vie m’appelle au repos éternel au milieu des vôtres, où je vous demande une petite place à côté des restes de M. Le Doux curé de Monthoiron et mort à Monthoiron en 1835 et aussi M. Delphin Gauvin, curé de Monthoiron et mort en 1884.
Dans cet espoir, je vous recommande de rester toujours bons chrétiens. Et que Dieu vous bénisse. Votre curé qui ne veut pas vous faire ses adieux, mais qui vous recommande à Dieu. »
« Ch. NICOLAS »
Il se retira à Châtellerault, au milieu des siens. Il n’eut pas à jouir longtemps de cette vie de famille ; le jour de la Présentation, jour de rénovation des promesses cléricales, il dit sa messe et le jeudi matin il fut frappé de congestion sur les 11 heures. M. l’Archiprêtre vint tout de suite ; il le reconnut, reçut le sacrement de l’Extrême Onction et rendit le dernier soupir dans la nuit.
Ce qu’il fut ? Mais à vingt lieues à la ronde il n’y a pas une famille qui n’ait eu recours « au bon vieux curé de Monthoiron » ; ce qu’il a fait ? Il a ouvert largement ses mains pour secourir l’indigent et, plus largement encore, son cœur et son âme pour soulager les misères physiques et morales, en un mot, il a passé en faisant le bien.
Il y a des ministères plus brillants, c’est vrai ; mais dans ces postes ignorés où le prêtre est seul vis-à-vis d’un monde indifférent et matérialiste, seul à croire, seul à espérer et à aimer comme le divin Crucifié qui vit lui aussi son ministère méprisé, qui étendit les bras vers un peuple rebelle, qui pleura sur Jérusalem, ah
! Quelle vie féconde et combien méritante ! Voilà bien la vraie fortune du prêtre !
Autour de ce char funèbre qui venait de Châtellerault, ramenant la dépouille de leur « bon vieux curé », les paroissiens de Monthoiron se groupèrent nombreux ; ce qui a été remarqué, ce fut le recueillement de la foule, ce fut la douleur des visages, ce furent les larmes dans les yeux.
Et maintenant, paroissiens de Monthoiron, gardez longtemps, gardez toujours le souvenir de votre « bon vieux curé ».
Puisque son corps repose dans votre cimetière, vous serez fidèle à visiter sa tombe ; d’abord pour exprimer votre reconnaissance par une prière fervente ; ensuite pour recueillir les enseignements et les conseils qu’il vous continuera
par-delà cette vie.
L’abbé S. LONGER